"On est censé faire comment, maintenant ?" : les agences bancaires françaises ferment les unes après les autres (et ce n'est que le début)

La BNP Paribas envisage la fermeture de plus d'un tiers de ses agences d'ici à 2030, selon les informations de franceinfo. Un coup de frein qui se confirme également chez ses concurrents.
Un ruban adhésif opaque recouvre le panneau qui renseignait la localisation de l'unique agence bancaire du village. La devanture de l'établissement à l'architecture normande - les colombages en moins - l'enseigne verte emblématique a été décrochée. A la place, un message : "A bientôt dans votre nouvelle agence". Implanté depuis 1947 à Ecos, à Vexin-sur-Epte (Eure), le Crédit Agricole a plié bagage courant du mois de mai, effaçant derrière lui toute trace de son passage. Avec cette fermeture, les habitants de cette commune se retrouvent orphelins de tout conseiller bancaire, guichet d'accueil ou distributeur de billets. Plusieurs d'entre eux, croisés dans les rues et les commerces locaux, fin juillet, ont confié être contrariés, voire franchement déboussolés par la situation.
"On est censé faire comment, maintenant ?", s'interroge Alain, 76 ans, venu dans le bar PMU du centre du village pour tenter sa chance avec deux jeux à gratter. Qu'on ne lui parle pas du numérique pour réaliser les opérations bancaires du quotidien. "La banque en ligne ? Mon cerveau s'y refuse, je me suis arrêté au Minitel !", siffle-t-il, le verbe haut et les yeux rieurs.
Le ton est léger, mais la situation est critique. Comme d'autres retraités du village, Alain se rendait dans son agence presque tous les jours, depuis plus de vingt ans. "Parfois jusqu'à trois fois par jour", pour effectuer des virements, déposer des chèques, ou encore surveiller ses comptes, à défaut de pouvoir le faire depuis un ordinateur ou un smartphone. "C'est comme les impôts ou la prise de rendez-vous médicaux sur internet. Pour moi, tout ça, c'est la catastrophe", avoue le septuagénaire. Résigné, il devra se diriger vers l'agence du secteur encore ouverte, située à huit kilomètres. Et forcément, s'y rendre moins souvent. "Je suis cardiaque, je me dis que si un jour, on me retire mon permis, je suis foutu."
Interrogée par franceinfo sur sa stratégie, la banque mutualiste explique adapter "depuis toujours" son "maillage au plus près des besoins de [ses] clients dans les territoires". Le Crédit agricole est cependant loin d'être le plus touché par ce mouvement en cours depuis plusieurs années, et qui connaît une accélération ces derniers mois. Les banques commerciales trônent plutôt en haut du palmarès. Selon les informations de franceinfo, la BNP Paribas envisage la fermeture de près de 600 agences en France d'ici à 2030, sur un réseau qui en compte actuellement près 1 500 sur le territoire. Le tout sans procéder à des licenciements.
Le groupe confirme à franceinfo le processus de fermetures d'agences en cours, mais se refuse à tout chiffrage. "La banque adopte une approche pragmatique, région par région, qu'il s'agisse de regrouper les agences, de les fermer ou de les rénover. L'objectif est d'avoir le dispositif bancaire le plus pertinent pour nos clients en France et d'avoir la majorité des équipes de nos agences composée d'au moins cinq collaborateurs en 2030", fait-elle valoir.
Le CCF (qui opérait sous le nom de HSBC France jusqu'en 2023) entend pour sa part supprimer 72 de ses 238 agences d'ici fin 2026, ce qui entraînera le licenciement de près d'un tiers des 3 000 salariés, selon le rapport du plan de sauvegarde de l'emploi cité par l'AFP. Avant elles, la Société générale avait annoncé, dès 2020, se séparer de près de 600 agences en profitant de sa fusion avec le Crédit du Nord. Crédit mutuel Alliance fédérale, regroupant des fédérations régionales du Crédit mutuel et du CIC, va pour sa part fermer ses agences les plus petites pour que 85% de celles restantes comptent au moins sept salariés, a détaillé un porte-parole du groupe au Figaro.
Fin 2024, la France comptait encore 33 024 agences bancaires, selon les chiffres de la Banque centrale européenne (BCE), soit près de 5 000 de moins que dix ans plus tôt. Ces suppressions à tour de bras mettent en alerte les syndicats. "Nous voulons bien reconnaître que certaines d'entre elles pouvaient être surnuméraires dans des grandes villes, mais le ménage a été fait. Maintenant, on est dans l'étape d'après et nous sommes inquiets, car on sent bien que les suppressions vont se poursuivre", confie Béatrice Lepagnol, secrétaire générale de la fédération CFDT banques et assurances.
Pour justifier ces décisions, les banques mettent en avant l'exception que représente le pays par rapport à ses voisins : en Europe, une agence sur trois se situe en France, selon les données de la BCE. La densité du maillage national fait figure d'exception, face à des pays frontaliers comme l'Allemagne, passée sous le seuil des 20 000 institutions bancaires physiques dans tout le pays.
Le rapport des Français a la banque a par ailleurs évolué au fil des années. Le développement de la banque en ligne a conduit les clients à de moins en moins se déplacer pour rencontrer leur conseiller. Selon une étude de la Fédération bancaire française et de l'Ifop, seuls 36% des clients se rendent ainsi encore en agence au moins une fois par trimestre. Ils étaient 41% en 2020.
Pour Frédéric Guyonnet, président du SNB CFE-CGC, syndicat majoritaire du secteur, il ne s'agit pas d'un argument valable pour fermer ces établissements. "Certes, les clients viennent moins en agences, mais lorsqu'elles ferment, ils sont mécontents. Ils veulent pouvoir pousser les portes de leur banque en cas de besoin, analyse-t-il. Il y a des moments, au cours de votre vie, où vous ne faites pas les opérations à distance : lors d'une séparation, d'un achat de résidence principale, ou encore d'un dossier de succession. On a besoin d'un conseiller que l'on connaît, d'un véritable contact humain." Dans un bureau, et pas forcément à travers un appel téléphonique ou une visioconférence.
Soucieuses de ne pas inquiéter leurs clients, les banques préfèrent parler d'un processus de "regroupement d'agences" plutôt que de fermetures. De plus grosses structures sont créées dans des communes plus densément peuplées, fonctionnant comme des points névralgiques vers lesquels les habitants des communes voisines sont redirigés. Une démarche qui entraîne une "perte de connaissance des spécificités territoriales", particulièrement utiles à un conseiller bancaire, notamment en milieu rural, déplore Frédéric Guyonnet.
"Pour les commerçants, avoir son agence bancaire proche de son entreprise est primordial, notamment pour les dépôts d'espèces."
Frédéric Guyonnet, président du SNB CFE-CGCà franceinfo
Alors, devant chaque rideau baissé, une partie de la clientèle choisit de se tourner vers la concurrence. En l'occurrence, vers les établissements qui maintiennent leur réseau physique dans le secteur. Mais ce risque de déperdition est connu des entreprises, selon le syndicaliste : "La BNP Paribas a des banques d'affaires et d'investissement qui rapportent davantage que son réseau. Fermer des agences et perdre une partie de sa clientèle ne la met pas en danger, loin de là."
La pilule a du mal à passer du côté des élus locaux. Remonté contre la fermeture récente de l'unique agence BNP Paribas de sa commune, Laurent Depagne (divers gauche), maire d'Aulnoy-les-Valenciennes (Nord), s'insurge :"C'est une vraie question politique qui n'a pas été anticipée."
"Les élus locaux auraient été inspirés de se mobiliser davantage, et pas uniquement quand leur commune est touchée par une fermeture."
Laurent Depagne, maire d'Aulnoy-les-Valenciennesà franceinfo
Pour l'édile, qui a fait voter une motion de protestation lors de son conseil municipal face à cette décision unilatérale, le sujet doit être discuté. Il entend bien peser de tout son poids pour que des parlementaires s'en saisissent. "Certes, ce sont des organismes privés, donc ce sont eux qui décident, mais les banques ont des liens étroits avec les puissances publiques. Ensemble, il est possible de réfléchir aux conséquences de ces fermetures sur les clients."
Le sujet est d'autant plus sensible que lorsqu'une agence bancaire tire le rideau, cela s'accompagne, dans la majorité des cas, de la mise hors service d'un distributeur automatique de billets. De quoi poser d'importantes difficultés pour la vie de communes qui se retrouvent sans solution de retrait d'argent. Selon le Comité national des moyens de paiement, la France a ainsi perdu plus de 1 500 distributeurs automatiques en 2024. Dans le désert bancaire, les distributeurs sont les premiers mirages.
Francetvinfo